Alpina 11/2006

L’agape rituelle ne semble pas beaucoup inspirer les auteurs maçonniques sous nos latitudes. Certes, quelques rares ouvrages sur le sujet existent; certes, les commentateurs les plus consciencieux en parlent, mais ils ne s’y attardent guère. En règle générale, le lecteur reste, si l’on peut dire, sur sa faim. Il en va différemment dans les pays anglo-saxons et en particulier en Angleterre où le repas de loge pris en commun avec le cérémonial qui l’entoure et le structure prennent toute leur importance. Des francs-maçons écrivent fréquemment dans les revues spécialisées à propos, par exemple, de tel ou tel aspect des toasts portés selon la coutume établie.

Il importe de garder présent à l’esprit que l’agape rituelle est la continuation sous une autre forme du travail accompli dans le temple, comme doit l’être, par ailleurs, toute activité entreprise hors de nos murs. La réunion autour du boire et du manger représente une détente qui ne signifie pas relâchement. Ici, gaieté ne rime pas avec satiété. D’abord, contrairement au festin et au banquet, l’agape est une nourriture frugale, simple, destinée à sustenter l’organisme, non à le surcharger. Son caractère sobre rappelle au maçon la modestie qui devrait être la sienne en toute circonstance car, à supposer qu’il emploie ses forces à les connaître, durant son parcours de vie il ne découvrira qu’une infime partie de la complexité de l’humain et des mystères de la Nature. Ainsi resterons-nous des personnes capables de réflexion dans le loisir et de discernement au coeur de l’allégresse.

Sans tomber dans l’extrémité de l’ascétisme ni dans celle de la gloutonnerie, l’agape permet d’éprouver un sentiment de reconnaissance envers notre terre nourricière, que trop souvent nous malmenons, surtout il devrait nous rappeler que des hommes, des femmes et des enfants aujourd’hui encore souffrent de privations alimentaires. Ce n’est pas gâcher son plaisir que d’en être conscient. La solidarité fraternelle ne s’arrête heureusement pas en bout de table. Partager un repas ensemble veut dire également se souvenir des frères disparus, qui ne demanderaient pas mieux que d’être parmi nous à ce moment-là. Cela fait beaucoup d’exigences à la fois pour une occasion festive, nous dira-t-on. Peut-être. Cependant, un dîner ou un souper de francs-maçons n’est pas une assemblée d’épicuriens. L’objectif premier demeure la fraternité, la joie de se retrouver côte à côte afin que nos idéaux se raffermissent. Cela implique le langage et l’attitude seyant au franc-maçon.

Jacques Tornay

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