La sobriété
(Alpina 3/2011)

L'idée de sobriété induit celle de modération. Ce qui ne veut nullement dire austérité ni frugalité. Il s'agit en somme d'user de tout sans abuser de rien, d'observer la juste mesure et le bon équilibre dans les domaines qui dépendent de notre volonté. L'usage de la parole, par exemple. Quoi de plus insupportable que les personnes qui la monopolisent et s'adonnent à de vaines logorrhées ? En loge, nous savons qu'il importe de donner à nos propos la pondération voulue et le sens souhaité. Il n'en reste pas moins que les mots sont à l'origine de bien des malentendus. La sobriété s'applique à beaucoup d'autres domaines. Elle s'apparente à la modestie, et l'on respecte d'emblée quiconque en fait preuve. Aussi devons-nous pratiquer nos vertus maçonniques avec la seule conscience d'accomplir un devoir naturel, sans chercher à se faire valoir aux yeux d'autrui, la suffisance étant étrangère à nos comportements. Se complaire dans l'étalage de ses mérites est une marque de puérilité. Sobriété ne saurait signifier parcimonie. Nous sommes plutôt ici dans la restriction volontaire, la quantité idéale, le ni trop ni trop peu qui préserve des excès. La sobriété sert parfois d'excuse à une abstinence inutile, à l'avarice, aux restrictions du coeur et de l'esprit. Souvent elle dissimule une évidente hypocrisie.

Nombre d'associations et de lobbies bienpensant érigent aujourd'hui en dogmes universels diverses formes de sobriété afin de régenter les habitudes de vie des citoyens, donc d'influer sur leurs libertés et choix individuels. Enfin, nos sociétés seraient moins surmenées s'il n'y avait tant de surenchère dans les messages politiques, religieux, publicitaires et autres. La sobriété doit découler d'une option personnelle, c'est une qualité que chacun peut rendre belle, élégante, pleine de suc et de vitalité. Elle est un plus, non un moins. «La parfaite raison fuit toute extrémité/Et veut que l'on soit sage avec sobriété», disait justement Molière. Etre sobre revient à s'en tenir à l'essentiel dans nos discours et actions, quitte à leur adjoindre des éléments supplémentaires pour les besoins de la cause et la beauté du geste. Mais d'abord, affirmer le nécessaire avec justesse, car l'on peut déployer son invention, parfaire sa personnalité, marquer sa profondeur dans une parfaite retenue. On retrouve ainsi le vieil adage: qui veut aller loin ménage sa monture...

Jacques Tornay

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