La gratitude
(Alpina 8-9/2011)

Gratitude, encore un mot qui aux oreilles de certains sonnera aussi désuet que «vertu», «morale» et autres. Cependant, pour peu que nous approfondissions ce type de vocables nous les trouvons liés à une philosophie de vie et au centre de toutes les relations humaines. Se fixer des idéaux est facile, se maintenir dans leurs exigences l'est moins. À dire vrai, la gratitude ne se compare pas à un idéal, il s'agit plutôt d'un sentiment. Fruit de l'éducation ou d'une disposition d'esprit innée, elle dénote chez la personne qui en fait preuve non seulement le respect d'un usage mais aussi une sensibilité de coeur. Il est des individus assurés que tout leur est dû, ceux-ci jugeront évidemment inutile de manifester le moindre signe de reconnaissance envers quiconque. Ils participent de cette mentalité qui consiste à prendre, toujours prendre, sans jamais rien offrir eux-mêmes. Au contraire, marquer vis-à-vis de l'autre que l'on attache de la valeur au don qu'il nous a fait ou au service qu'il nous a rendu, c'est l'estimer, le placer au-dessus du commun, et dans le même temps s'estimer soi-même car la vraie gratitude n'implique aucune soumission du receveur envers le bienfaiteur. Nous sommes ici dans une configuration de fraternité, non de pouvoir. Il est des gens qui se souviennent toute leur existence d'un simple petit geste qu'à un moment quelqu'un a eu en leur faveur. Ce sont des âmes heureuses. Elles ne seront jamais démunies. Dans gratitude il y a attitude, celle juste et convenable que chacun devrait avoir en toute circonstance. Dire merci quand il le faut et commeil se doit, c'est faire échec à l'indifférence. Avec chaque remerciement sincère un peu de bonté s'ajoute au monde. Le champ de la gratitude va de l'action la plus modeste à une quasi infinitude. Il en est de différentes sortes : celle du croyant à l'égard de son Dieu, de l'enfant pour ses parents, d'une nation envers un pays qui l'a délivrée d'une tyrannie, etc. Personnelle ou collective, la gratitude exprime un contentement intérieur visible. Hélas, on oublie souvent un bienfait ; parfois, il reste en mémoire et il devient alors un lien tangible, mieux : une force d'exemple. Quantité de fables de Grimm, Perrault, La Fontaine et autres conteurs de nos jeunes années montrent l'importance de savoir «gré» à qui nous a porté assistance. Il faut relire les vieilles fables, elles contiennent de profondes vérités.

Jacques Tornay

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