Comment gérer sa vie?
(Alpina 10/2011)
Jusqu'à récemment, le verbe «gérer» s'appliquait avant tout au monde des affaires et de l'entreprise. Voilà qu'il envahit toutes les sphères ou presque des activités humaines et que l'on gère son esprit, son corps, ses loisirs, ses pulsions, les crises de toutes sortes et combien d'autres domaines encore en s'imposant des disciplines qui, neuf fois sur dix, sont illusoires car on ne conduit pas sa vie ni les événements en adoptant des programmes point par point. Souhaitons qu'il ne sera jamais question de gérer son temps maçonnique, ce serait alors réduire notre participation aux travaux à une simple occupation, et les considérer sous un angle purement mécanique ; ils en seraient dévitalisés. Nos rencontres fraternelles sont placées sous le signe d'un engagement qui ne se calcule et ne se compte pas. Chacun renouvelle son dynamisme au sein même de notre enseignement. D'une façon générale, à trop vouloir planifier les choses on finit par les brider, par les confiner dans un carcan rigide où nos facultés d'invention et notre ardeur intellectuelle dépérissent. Certes, il importe d'encadrer sa vie d'une série de principes, et il s'agit pour chacun de trouver la juste mesure entre souplesse et rigueur propre à son tempérament, sans trop se fier aux schémas convenus car l'on sait que les imprévus souvent balaient comme des fétus de paille nos intentions les mieux établies. Il conviendrait de revenir au premier travail de l'apprenti, lorsqu'il donne son coup de ciseau initial sur la pierre brute. Ce geste indique une volonté, une détermination à se perfectionner soi-même dans tous les secteurs où il faut oeuvrer. Le reste sera une question d'organisation individuelle. L'expression «gérer sa vie» peut donner l'idée d'un souci égoïste de bien-être personnel. Or, si la poursuite du bonheur est un droit inaliénable de la personne, elle ne prend sa vraie valeur que si d'autres en profitent également, à commencer par ses proches. Prévoir dans la mesure du possible et du raisonnable le cours de son existence implique plusieurs paramètres, et pour être complète, la notion du travail en commun induit un esprit de fraternité, par conséquent d'altruisme dans la pleine acception du terme. Il importe surtout de bien se connaître, de savoir où, quand et comment agir en paroles et en actes afin que ceux-ci atteignent les meilleurs résultats souhaitables. Cela ne s'apprend dans aucun manuel mais sur le terrain de la vie, avec la spontanéité de coeur qui devrait caractériser le maçon.
Jacques Tornay
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