Alpina 12/2001
En lisant La Divine Comédie on se rend compte pourquoi Dante Alighieri
(1265-1321) intéresse les francs-maçons. Outre que le nombre trois est le
fondement de la structure de l’œuvre, celle-ci débute par l’errance du
protagoniste principal, l’auteur lui-même, qui bientôt trouve un guide en la
personne de Virgile, symbole de la raison. Ensemble ils vont vivre des
épreuves «dantesques», c’est-à-dire qui dépassent la mesure commune des
choses. Les références à caractère initiatique parsèment les trois voyages,
ou chants, de l’Enfer, du Purgatoire et du Paradis. Ils contiennent sous une
forme parfois concrète, parfois allégorique, ce qui compose l’histoire des
hommes et de leurs passions en ce qu’elle a de misérable et de sublime. Aux
vices répondent les vertus, la destruction est contrebalancée par le besoin
de bâtir à neuf.
Les notions de bien et de mal, devenues confuses avec la
modernité, sont des réalités presque tangibles, qui ont leurs conséquences
dans les faits. Dante englobe aussi l’histoire des idées générales autant
que particulières, mais il ne donne pas d’enseignement, il se contente de
montrer car il est davantage poète que philosophe.
Son symbolisme puise aux sources des grands penseurs de la
Rome et de la Grèce antiques, que rejoignent d’autres courants. Tout lui est
sujet à représentation emblématique. Cette profusion de signes, de voix, de
gestes disparates sont ordonnancés par une architecture verbale rigoureuse –
en langue italienne, «vulgaire», de l’homme de la rue – qui fait que l’on ne
pourra jamais déchiffrer entièrement Dante, il sera à reprendre sans cesse.
Il faut se laisser gagner par la profondeur et la beauté parfois torturée du
chant pour en percevoir l’étendue. Thomas Carlyle écrivait: «Les âmes
vraies, dans toutes les générations du monde (...), trouveront une
fraternité en lui; la profonde sincérité de ses pensées, de ses malheurs et
de ses espérances parleront de même à leur sincérité; elles sentiront que ce
Dante aussi était un frère.» Ses œuvres dites mineures (La Monarchie, Les
Epîtres, Les Eglogues, etc.) auraient suffi à la gloire de ce Florentin
issue de petite noblesse. Il a néanmoins tenu à reprendre ses thèmes
poétiques en les transfigurant jusqu’à la quasi perfection dans un chef
d’œuvre où se condense toute la science de l’époque. Nous reprenons ici les
deux premiers chapitres d’une étude aujourd’hui un peu oubliée de René
Guénon, l’un des connaisseurs sensibles de Dante. La Divine Comédie (nous
recommandons la dernière traduction française en date, celle de Jacqueline
Risset en édition bilingue chez Garnier Flammarion, 1992) semble
impérissable par l’intense recherche de vérité dont, entre autres mérites,
elle témoigne.
Jacques Tornay
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