Alpina 11/2005
Dans sa version la plus résolue la xénophobie n’est pas une
forme adoucie du racisme. Elle en représente le premier stade, le dernier
étant logiquement l’élimination physique et à ce titre le 20e siècle aura
été exemplaire de barbarie avec ses génocides, holocaustes, épurations
ethniques ou quel que soit le nom que l’on donne à une tuerie de masse.
Restons-en toutefois à la xénophobie. Peut-on moduler cette dernière et y
voir un éventail d’états d’âme qui irait de la simple antipathie à la
franche aversion? Y aurait-il une xénophobie modérée, raisonnable,
socialement admise du genre «je n’ai rien contre les étrangers mais…»? Ce serait pratiquer la politique de l’autruche ou faire
preuve d’angélisme que de nier la réalité xénophobe, présente jusque dans
les sociétés en apparence les plus dégrossies et les moins sujettes aux
soubresauts politiques. Il est en effet navrant de constater que
l’exclusion, le rejet de l’autre en raison de sa différence native, affecte
de si nombreux pays à des degrés variables. Navrant aussi de voir qu’un
persécuté de naguère peut devenir un persécuteur d’aujourd’hui lorsqu’une
position de force le lui permet. C’est comme si à chaque génération il
fallait inculquer à nouveau les mêmes principes de base qui régissent la vie
en commun, à l’intérieur des nations et celles-ci entre elles, alors que
nous aimerions les savoir inscrits une fois pour toutes dans le patrimoine
moral de l’humanité. La xénophobie n’a pas de patrie géographique.
Chacun, où qu’il se trouve, peut se découvrir de bonnes raisons de détester
qui ne lui ressemble pas. Et cela vaut pour les appartenances raciales
autant que pour les croyances et les idées.
Le franc-maçon soucieux de son engagement ne s’autorisera
aucune dérive de ce type. Les opératifs du moyen âge n’accueillaientils pas
des travailleurs des quatre coins de l’Europe sur leurs chantiers de
construction? Libre circulation des personnes avant la lettre. Tout dans nos
enseignements porte vers la concorde, vers l’accueil et l’échange avec
autrui sans préjugé d’aucune sorte. Mais s’il paraît que la chair est
faible, l’esprit semble l’être autant et nul ne peut se prévaloir de
sentiments dépourvus de failles. Les leçons, c’est à soi-même qu’il faut les
donner au premier chef. On atténuera éventuellement la xénophobie par
l’instruction, par de meilleures conditions économiques et sociales, par
l’égalité des chances. Peutêtre l’abolira-t-on par un effort de
compréhension mutuel consenti chaque jour.
Jacques Tornay
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