Le silence
(Alpina 10/2007)
Le silence est un état plus ancien que la création des
planètes car, enfin, qu’y avait-il avant le grand boum sinon un infini
silence? Du moins peut-on le supposer. À l’apprenti frais émoulu, on demande
d’observer une année de silence pendant les travaux de sa loge. On se
gardera de lui en imposer l’obligation et de mettre ainsi un interdit au
seuil même de son parcours, on lui indiquera plutôt le bienfait à retirer
d’une vertu pratiquée depuis toujours par les sociétés ésotériques, écoles
de philosophie, doctrines spirituelles et autres.
Même allant de soi, évidente lorsque l’on accomplit ses
premiers pas, il est bon de signaler au jeune adepte les raisons d’une
attitude silencieuse. Celle-ci n’est chez nous pas absolue puisque par le
truchement de son parrain il pourra s’exprimer sur une question lui tenant à
coeur. Plus tard, délié de son bâillon symbolique, il devra néanmoins
exercer un contrôle permanent sur l’expression de sa pensée afin de lui
donner un cours mesuré. À ce titre, nous sommes tous concernés par les
limites naturelles du droit à la parole. Il s’agit avant tout de savoir si
notre intervention apportera aux frères quelque bénéfice.
Tout commentaire porteur de réflexion vaut d’être formulé
lorsqu’il participe à la vie de l’atelier. L’aspect qui différence d’abord
nos réunions d’autres où l’on débat de grands thèmes est la présentation
d’arguments selon un certain agencement et avec une volontaire économie de
moyens au lieu de la logorrhée verbale qui trop souvent prévaut ailleurs,
suscitant plus de confusion que de sérénité. Le silence est indissociable de
la qualité d’écoute, par conséquent du respect de l’interlocuteur. Nous
éviterions bien des querelles et malentendus en parlant moins. Y compris
dans un schéma clair et explicite, l’autre ne reçoit pas toujours notre
message dans l’intention qui était la nôtre en le formulant, d’où une
nécessaire prudence avant d’ouvrir la bouche. Voilà pour le silence,
relatif, à observer en public. Il en est un autre, complet celui-là: le
silence que l’on se ménage en soi, l’espace de calme que l’on s’accorde dans
la solitude, hors des contingences, afin d’atteindre et d’entendre notre
être intérieur. Ce silence nous constitue dans ce que nous avons de plus
précieux, il ne se partage pas, il est actif et nous élabore de jour en
jour.
Jacques Tornay
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