Qu'est-ce que le sentiment de bonheur?
(Alpina 1/2009)
Des philosophes grecs et latins
jusqu'aux grands penseurs contemporains, l'idée de
bonheur a fait couler beaucoup d'encre et l'on ne
cessera sans doute jamais de s'interroger sur ce qu'elle
signifie et, surtout, comment la traduire dans la
réalité. Que l'on en fasse un système ou un état d'âme,
le bonheur a suscité une myriade de maximes, proverbes
et autres axiomes depuis que l'être humain est capable
d'améliorer son existence. Lorsqu'on lit une série de
ces définitions aucune d'entre elles n'emporte notre
complète adhésion, comme si le fin mot du bonheur
restait en suspens. Il n'empêche, que ce soit dans
l'amour, la connaissance, l'art, ou ce que l'on voudra,
vers lui nous tendons en permanence. Malheureusement, il
n'est jamais acquis une fois pour toutes. Comme la
liberté, il nous faut sans cesse conquérir le bonheur et
le mériter pour en jouir pleinement. Toutefois, il se
dévalue et se réduit à peu lorsqu'on essaie de
l'atteindre par l'achat d'objets, la satisfaction de nos
sens ou l'obtention de faveurs. En fait, son idéal est
devenu essentiellement matérialiste et nous confondons
trop le bonheur avec le bien-être. Or, celui-ci est
éphémère, nous le savons, puisqu'une fois disparu nous
voulons à tout prix le renouveler, l'éprouver encore
jusqu'à ce que les circonstances de l'âge nous en prive
à jamais. À la vieillesse, le bonheur ne pourrait être
qu'une absence de souffrance. Beaucoup voient dans le
bonheur une recherche de plaisirs immédiats et c'est le
meilleur moyen d'être perpétuellement déçu. Il n'en
reste pas moins que le vraie notion de bonheur, celui
qui engendre une plénitude durable, qui émane de
l'intérieur de soi, est accessible au prix d'un très
long apprentissage et, peut-être, d'un degré de
conscience au-dessus de la moyenne. Ce bonheurlà
représente la poursuite du mieux, il est actif dans son
principe, volontaire, il vient de l'esprit et non plus
du corps donc se met au service d'une cause supérieure,
il se décentre de l'égo et va vers le monde extérieur.
Il consiste à faire ce que l'on peut avec ce que l'on
possède à l'endroit où nous sommes. On ne risquera pas
de le trouver si l'on se contente de l'attendre et de
l'espérer passivement. Il ne réside plus dans l'illusion
de l'avoir et du paraître, il se fonde dans une action
précise dont le résultat sera visible si nous allons à
lui dans l'intention nécessaire. Le bonheur de soi
devient alors le bonheur des autres.
Jacques Tornay
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