La connaissance de soi
(Alpina 1/2011)
Se connaître soi-même, dans le fond tout
est là, mais n'est-ce pas utopie ? Il faudrait
en effet s'entendre jusqu'à quel point il
est possible de savoir qui l'onest vraiment, et
s'il est même souhaitable de s'engager loin
dans une telle quête. Depuisque lemonde est
monde, chaque individu a ses zones de
mystère indéchiffrables, sa complexité irréductible,
sesméandres existentiels et manoeuvres
psychiques, le tout opérant largement
à son propre insu. On ne se comprend jamais
entièrement. Chacun de nous reste une
énigme pour lui-même et les autres. On croit
connaître à fond un être cher et tôt ou tard,
souvent longtemps après son décès, on se
rend compte qu'en réalité on en savait bien
peu sur lui. Accepter ses limites est peut-être
l'ABCde lasagesse. Il nous faut pourtantaller
jusqu'à ces limites-là si l'on ne veut passer à
côté de soi-même et avoir vécu comme un
être soumis aux seules nécessités organiques.
Afin de mieux entrevoir leur personnalité profonde
il en est qui s'en remettent à des praticiens
de tout genre. Certes, des techniques
et des disciplines peuvent nous aider mais
résolvent-elles beaucoup? Leurs résultats
seront partiels tant que nous n'aurons pas
recours en priorité à nos ressources intérieures
pour tenter de savoir qui nous sommes. La
franc-maçonnerie n'a pas pour fonction de
modifier la personne, elle lui apprend ou plutôt
l'encourage à devenir ce qu'elle doit être,
selon le précepte de Goethe, en se perfectionnant
sans cesse. Une pareille ambition est
considérable, compte tenu de l'inertie et de
l'indifférence qui règne parmi les hommes.
Quoi que fasse le maçon de l'enseignement
qui lui est proposé, il acquiert une vision de
lui-même de par son étude personnelle et
l'appui de ses frères. Car lesautres participent
pour une large part dans la connaissance que
l'on peut avoir de soi-même. Tant qu'il est seul
sur son île, Robinson Crusoé ne se préoccupe
que de sa survie physique et matérielle. Lorsque
Vendredi apparaît, ilyaéchange, mise en
commun, partage de l'intelligence. Un miroir
est tendu sur le différent et le semblable à la
fois. En résumé, tâchons de nous connaîtredu
mieux que nous le pouvons, dans la mesure
du raisonnable, sans se complaire dans son
imagemais en essayant au contraire, avec le
bagage que nous avons, d'aller vers le monde
afin de l'édifier en conséquence.
Jacques Tornay
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