Editorial

« Nous écrirons jusqu’à détruire ces histoires à dormir debout dans vos têtes qui rendent nos vies invivables et détruisent nos pays. […] Nous écrirons jusqu’à ce que nous puissions tous vivre en paix, dans l’amour et en liberté. »
Omar Batawil (1998-2016)

Ce mois d’avril 2016 s’achève par une nouvelle semaine noire pour la liberté de conscience.

Assassiné le 27 avril à Aden à l’âge de 18 ans, Omar Batawil ne pourra jamais dire « j’ai eu 20 ans… », à l’instar de Paul Nizan naguère.

Son crime : avoir critiqué sur Facebook le fondamentalisme religieux et son emprise sur la société.

Quelques jours plus tôt, Rezaul Karim Siddique, professeur de 58 ans, avait été également assassiné, au Bangladesh cette fois, pour « avoir appelé à l’athéisme ».

Ayant « confirmé l’islam comme religion d’Etat » du Bangladesh, pays qui s’était pourtant doté en 1972 d’une constitution proclamant une République laïque et démocratique, la Haute Cour de Justice de Dacca a rejeté, le 28 mars 2016 la requête des partisans de la laïcité, plus isolés – si ce n’est condamnés – que jamais.

Ces actes odieux viennent étayer le sentiment oppressant que c’est bien à l’échelle mondiale que l’étau se resserre, que c’est avec régularité, dans un mouvement uniforme, que la liberté de conscience descend la pente.

Ce serait une erreur fondamentale – si l’on peut dire – de croire que la laïcité n’est qu’une expression surannée, voire anachronique, du folklore français.

Ce dont il est en effet question, c’est de l’un des piliers majeurs de la liberté absolue de conscience, sans laquelle aucun progrès – matériel et moral – n’est possible et l’horizon de l’humanité condamné à se réduire comme peau de chagrin.

Pourtant, nous ne pensons pas que la lutte de l’homme contre ses espérances soit parvenue à son terme, pour reprendre la formule de Camus.

Bien au contraire, les attaques incessantes contre la plus essentielle des libertés doivent fournir l’occasion d’un réveil des consciences, comme les questions soulevées par l’arrivée des réfugiés doivent réveiller l’utopie européenne.

Après Calais, la bataille pour la dignité s’est ainsi récemment déplacée à Stalingrad (le Boulevard et non la ville éponyme).

Entre regard en arrière et regard en avant, valeurs d’hier et aujourd’hui et éthique du futur, l’humanité se retrouve un peu dans la position de l’âne de Buridan.

Dans Ethique à Nicomaque, Aristote évoque la cargaison jetée par-dessus bord lors de la tempête.

Cette parabole laisse voir que les dangers, les épreuves, la mort remettent les choses à leur place et que les enjeux demeurent, encore et toujours, ceux de la liberté et de la condition humaine, condamnée à naviguer sans cesse entre désenchantement et espoir.

Ballotée certes, mais en mouvement.