Une petite voix s’élève alors dans le silence déconnecté qui appelle la femme à aligner ses différentes activités, les rôles qu’elle joue, et à les comparer avec son moi profond.
Vertige et sentiment de solitude dans ce monde de la toile, du web 2.0. et bientôt du web 3.0.
Comment s’engager seule dans ce cheminement philosophique et spirituel si intimement féminin parfois ? Surtout ne pas bâillonner la petite voix. Lui prêter oreille.
Marie-Thérèse BESSON, Présidente
Observatoire de la Laïcité – 21 janvier 2014
Monsieur le Président,
Monsieur le Rapporteur Général,
Mesdames, Messieurs,
Dans le cadre de vos auditions, vous avez souhaité entendre les obédiences maçonniques. Je vous remercie, au nom de la Grande Loge Féminine de France que je préside, de votre invitation.
Je tiens, tout d’abord, à poser en préambule, les principes qui guident notre action et qui nous permettent de réaliser l’unité dans la diversité. Notre obédience qui compte plus de 14 000 femmes proclame, dans sa Déclaration de Principes, son indéfectible attachement aux principes de liberté, de tolérance, de laïcité, de respect des autres et de soi‐même. Nous sommes la première obédience maçonnique a avoir inscrit le principe de laïcité dans nos textes.
C’est la République laïque qui institua l’égalité entre les hommes et les femmes, le droit des filles comme des garçons à l’instruction, le droit de vote pour les femmes, la contraception, l’égal accès professionnel et l’accession à la parité en politique.
De nombreuses associations militent pour la défense et la promotion de la laïcité. Nous sommes bien sûr en relation avec plusieurs d’entre elles. Nous nous associons à leurs réflexions, à leurs actions lorsque l’Etat oublie son obligation de neutralité dans la conduite des affaires ou que des ingérences des lobbies religieux interfèrent dans les débats législatifs.
Source de liberté individuelle, la loi du 9 décembre 1905, dite loi de séparation des églises et de l’Etat, garantit à chacune et chacun la liberté de conscience.
Elle a permis à notre pays de rester stable au cours des dernières décennies quand tout prédisposait, à l’origine, à une guerre civile.
Or, s’attaquer, aujourd’hui à la laïcité, c’est s’attaquer au cœur de la démocratie, c’est en nier les valeurs et les principes. Quatrième pilier de notre
République, c’est à la fois un principe juridique, une philosophie, une lettre et un esprit. La laïcité donne une obligation d’indépendance à l’Etat et lui interdit toute référence religieuse.
Pour nous qui rassemblons des femmes issues de tous horizons sociaux et professionnels, ouvertes à toutes les idées, refusant tous les dogmes et les extrémismes, le concept de laïcité doit nécessairement entraîner sa mise en oeuvre.
Aujourd’hui, le principe de laïcité touche tous les domaines de la vie sociale et les réponses doivent s’adapter à des réalités diverses.
De notre naissance à notre mort, la laïcité accompagne notre vie. Et nous rencontrons ses ennemis dès avant même la naissance.
A propos de Bioéthique :Or beaucoup de questions de bioéthique se réfèrent au corps des femmes.
Nous disposons de nombreux témoignages précieux de soeurs ayant expérimenté les circuits de la biomédecine, de soeurs professionnelles de la santé et du droit qui donnent à nos avis une force d’authenticité.
La religion révèle une vérité, la morale édicte des règles, l’éthique s’interroge. Notre travail sur la bioéthique est indissociable de la réflexion laïque.
Elle institue la liberté de conscience, en permet l’exercice et la défend. C’est une culture de la distance par rapport aux approches dogmatiques des religions. La laïcité est fondamentale dans notre réflexion pour dépassionner les débats et permettre une action à l’écart de toute pensée dogmatique.
Ainsi, depuis les premières lois de bioéthique, nous en suivons les travaux et leurs révisions. La procréation médicalement assistée, la gestation pour autrui, la recherche sur les cellules souches, le statut de l’embryon, le statut des enfants nés sans vie, la convention d’Oviedo(1), les nanotechnologies, ces questions sont cruciales pour l’humanité. Comment ne pourraient‐elles pas nous interpeller, dans le respect de nos libertés et de la reconnaissance de la dignité humaine, si le développement de ces technologies se fait à notre insu ?
Notre réflexion est permanente sur la question si sensible de la fin de vie. Nous sommes tout particulièrement vigilantes sur les détournements actuels de la clause de conscience et sur leurs conséquences.
Les remises en cause des lois sur l’avortement en Espagne, pourraient entraîner un repli d’autres pays européens sur la liberté des femmes de mettre fin à une grossesse. Nous ne pouvons pas accepter ces régressions. Nous savons que les femmes de nombreux pays, européens d’abord, et plus largement dans le monde, sont en attente de nos réactions et de notre détermination à défendre et préserver le libre arbitre de chacune contre l’utilisation d’un dogme érigé en pouvoir absolu.
L’actualité a fait surgir de nouveaux faits de société, celui de l’encadrement dans des structures privées qui assurent l’accueil de jeunes enfants et celui des sorties scolaires à but pédagogique.
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(1) Cette convention internationale, signée par la plupart des Etats européens, énonce les principes fondamentaux applicables à la médecine quotidienne ainsi que ceux applicables aux nouvelles technologies dans le domaine de la biologie humaine et de la médecine.
A propos de la petite enfance :Face au constat de la méconnaissance, de connaissances parcellaires, de mauvaises interprétations du principe de laïcité, nous souhaitons qu’une réelle visibilité soit donnée à la définition de la laïcité ainsi qu’aux règles juridiques applicables, à partir des dispositions constitutionnelles, législatives ou règlementaires et des conventions et traités internationaux. Il s’agit là d’un outil indispensable à chaque acteur pour qu’il puisse participer, en tant que citoyen éclairé, à l’exigence du « respect de l’espace libre de l’enfant pour le laisser grandir dans un environnement approprié au développement de sa liberté de conscience ».
Sachant, notamment, que le premier élément qui conduit à l’introduction, voire à l’incrustation dans la pensée d’un enfant sont les images‐symboles y compris vestimentaires. Aujourd’hui, dans l’état actuel de nos textes, nous encourageons les chefs d’entreprises ou d’associations en charge de crèches à compléter leur règlement intérieur afin de le rendre précis quant aux limites d’expression religieuse de leurs salariés.
Nous insistons sur le fait que tous les acteurs sont concernés et doivent se sentir responsables. Ils doivent rester vigilants et aller dans le sens de la protection contre toute sujétion physique ou psychologique des enfants.
Le développement physique et psychologique de nos futurs citoyens doit, dans tous les cas, être accompagné par des femmes et des hommes libres et autonomes.
A propos des sorties scolaires :
Nous avons été étonnées de l’avis rendu par le Conseil d’Etat concernant la demande du Défenseur des Droits qui le consultait sur les problèmes rencontrés par les enseignants du service public lors des sorties scolaires où des parents manifestaient leur appartenance ou leur croyance religieuse. Cet avis renvoie, une fois de plus, la gestion de cette difficulté au chef d’établissement. Nous savons qu’un avis similaire rendu en 1989 avait contribué à une recrudescence de revendications religieuses de la part des enfants comme des parents.
Cette fois encore, le Conseil d’Etat feint d’ignorer le principe de laïcité.
D’ailleurs, après la circulaire « Jospin », face à toutes ces revendications religieuses et communautaires, l’Etat a dû se résoudre à légiférer. Dans ce cadre, nous avions été auditionnées par la commission « Stasi » et la mission parlementaire « Debré ». Nous avions été la seule obédience maçonnique à se prononcer pour l’interdiction du port des signes religieux à l’école.
Nous avons réitéré notre détermination lors de l’audition de la mission d’information sur la pratique du port du voile intégral. Nous avons demandé fermement de marquer, dans un texte législatif sans équivoque, l’interdiction dans l’espace public du port du voile intégral qui doit respecter à la fois la sécurité publique et nos principes fondamentaux pour un vivre ensemble harmonieux.
S’agissant du respect du principe de laïcité dans les établissements universitaires, nous exprimons le regret de la non diffusion de l’avis du Haut Conseil à I’Intégration sur « expression religieuse et laïcité dans les établissements publics d’enseignement supérieur en France ». Devant les nombreux contentieux intervenus concernant tous les secteurs de la vie universitaire, qu’il s’agisse de dérogation pour justifier une absence, du port de signes d’appartenance religieuse, d’actes de prosélytisme, de la récusation de la mixité tant au niveau des étudiants que des enseignants, de la contestation du contenu des enseignements, de l’exigence du respect des interdits alimentaires, de l’octroi de lieux de culte ou de locaux à usage communautaire, nous souhaitons que le code de l’éducation précise les obligations et les devoirs de l’étudiant au regard du principe de laïcité.
A propos de la charte de la laïcité :
Nous sommes tout à fait d’accord avec les propos du discours de Monsieur le ministre de l’Education Nationale, Vincent Peillon, lors de l’installation de la Charte de la Laïcité.
Je cite : « La laïcité de l’École n’est pas une entrave à la liberté, mais la condition de sa réalisation. Elle n’est jamais dirigée contre les individus, ni contre leur conscience, mais elle garantit l’égalité de traitement de tous les élèves et l’égale dignité de tous les citoyens. Refusant toutes les intolérances et toutes les exclusions, elle est le fondement du respect mutuel et de la fraternité. »
Cette charte et ses objectifs sont en résonnance avec notre attachement indéfectible à la Laïcité, à la République et s’accordent à notre propre éthique autour de valeurs humanistes et universalistes qui sont les nôtres.
Toutefois, une évaluation nationale, indépendante et rigoureuse devrait s’imposer. Passés quelques jours, cette charte s’est elle simplement « banalisée dans le paysage » ? Au contraire les chefs d’établissements, les enseignants, les élèves s’en sont‐ils vraiment saisis pour en décrypter les messages ? Si oui de quelle façon ? Combien de temps les enseignants consacrent‐ils à cette pédagogie ? Avec quels outils efficaces et pertinents ? Comment s’expriment les résistances, si elles existent ? Si des signes encourageants d’une prise de conscience et d’une appropriation de cette charte sont perceptibles, comment se manifestent‐ ils ?
Quid de l’appropriation de cette charte dans les écoles privées sous contrat ?
Quelle continuité éducative dans les institutions privées, confessionnelles ou non, qui reçoivent des subsides de l’état ?
Pour faire suite, concrètement et logiquement à la charte de la Laïcité, et pour donner tout leur poids aux messages qu’elle contient, le ministère de l’Education Nationale projette pour 2015, la mise en place officielle d’un enseignement de la morale laïque à l’école.
Notre commission nationale de la laïcité s’est saisie d’une réflexion sur ce sujet et ne manquera pas à l’occasion de vous transmettre le résultat de ses travaux.
A propos de la laïcité dans les établissements de santé :
La loi du 21 juillet 2009, dite HPST (Hôpital, Patients, Santé et Territoire) a supprimé la notion de service public hospitalier et l’a remplacé par 14 missions de service publics : permanence des soins, prise en charge des soins palliatifs, enseignement, recherche, éducation et prévention pour la santé, aide médicale d’urgence, lutte contre l’exclusion sociale, actions de santé publiques, prise en charge des personnes hospitalisés sans consentement, soins aux détenus, etc.
L’hôpital devient ainsi un univers “organiciste et techniciste“. Le patient, dans ce contexte, ne doit pas devenir seulement un sujet physiologique mais doit demeurer une personne humaine, avec sa culture, son identité et sa croyance.
La circulaire du 2 février 2005 a donné aux patients le droit d’être informés, de choisir leur médecin, d’exercer leur culte. Toutefois, cette liberté ne doit pas nuire au bon fonctionnement des services, au respect des règles d’hygiène, à la qualité des soins et à la tranquillité des autres patients.
Or, les règles ne sont pas toujours respectées.
C’est surtout dans les services d’urgence et de gynécologie obstétrique que surviennent les problèmes les plus aigus. Ce sont, le plus souvent, les femmes qui sont l’objet de contestation : refus d’être examinée par un médecin homme, port des vêtements lors de l’examen, excision, réfection d’hymen.
D’autres problèmes plus généraux peuvent aussi se poser : refus de transfusion sanguine et de nourriture, respect des rites mortuaires, etc.
Les règles ont cependant permis une clarification du statut des aumôniers et de leur rôle. Ancrés dans les équipes hospitalières, ils peuvent aussi assurer la mission de médiateur. Cette obligation législative se heurte quelque peu à des problèmes budgétaires. Dans le même temps des aumôniers « estampillés » sont remplacés par des bénévoles, parfois prosélytes, auprès des malades. Il faut rester vigilant, même si le Code de la Santé Publique par la circulaire du 4 novembre 2004 dispose que l’intervention des bénévoles doit être facilitée et autorisée par l’administration de l’établissement.
‐ Les patients sont accueillis quelle que soit leur appartenance ou leur non appartenance religieuse.
‐ Les croyances du patient sont respectées : liberté d’expression reconnue en chambre seule ou dans les lieux conçus à cet effet.
‐ L’accès au ministre de leur culte est possible ainsi que le choix d’un praticien dans le respect de l’organisation du service.
Actuellement, la réglementation en vigueur permet aux administrations et aux équipes du personnel médical de gérer les manifestations du fait religieux.
On peut toutefois ajouter et préciser que le dialogue et la concertation devraient permettre de régler des problèmes, en insistant sur la formation du personnel à la connaissance des différentes cultures, des faits religieux mais également des principes de la laïcité. En cas d’incompréhension totale, voire de violence, le chef de service ou d’établissement doit pouvoir faire appel à la force publique et/ou porter plainte auprès du Procureur de la République pour entrave au fonctionnement du service public.
Enfin, ajoutons que le respect de la laïcité est essentiel voir vital pour les femmes. Ce sont elles qui sont les premières victimes de toutes les régressions et la plupart du temps, c’est l’accompagnant masculin qui impose son point de vue et quelquefois violemment. Il faut apprendre aux femmes leurs droits et les aider à contourner ces pressions parce qu’elles en sont doublement victimes.
Dans notre République, l’homme et la femme sont égaux.
A propos du Concordat :
La proposition du futur Président de la République, François Hollande, alors candidat, d’inscrire dans la Constitution les principes fondamentaux issus de la loi du 9 décembre 1905 était un projet réalisable.
Mais la confusion est entretenue à dessein entre le régime des cultes et le reste du droit local, en Alsace Moselle.
Pourtant, c’est la constitutionnalisation des articles 1 et 2 de la loi du 9 décembre 1905 qui permettrait la meilleure progressivité, en fixant une fois pour toutes, le cadre avec, à terme, l’abrogation de tout statut des cultes contraire à la laïcité. La négociation aurait ainsi pour seul objet le calendrier et les modalités pratiques d’application :
‐ Dans un premier temps, application immédiate pour toutes les dispositions le permettant (liberté de conscience, libre exercice des cultes, fin de l’enseignement religieux à l’école publique et retrait des signes religieux dans certains services publics, fin de la reconnaissance juridique des quatre cultes, abrogation du délit de blasphème, etc…),
‐ Ensuite, application progressive pour les dispositions financières et statutaires concernant les personnes : les clercs, les professeurs d’enseignement religieux rémunérés par l’Etat qui ne peuvent pas être brutalement privés de rémunération et/ou mis au chômage,
‐ Puis prévoir une extinction progressive et programmée des corps concernés : non remplacement des départs à la retraite, arrêt de tout recrutement, maintien du statut actuel, à titre personnel, pour les agents déjà en fonction, après épuisement des reclassements civils éventuels dans la fonction publique,
‐ Enfin, en matière de financement d’investissement immobiliers : versement de la totalité des subventions déjà notifiées pour les édifices cultuels dont les travaux ont connu un commencement d’exécution, mais arrêt de tout subventionnement public pour un édifice cultuel nouveau.
Conclusion :
Si la séparation organique entre l’Etat et les églises ne fait plus, dans son principe, débat, sa traduction dans la vie quotidienne des français est loin de faire consensus. Que ce soit dans les crèches, à l’école, à l’université, dans les entreprises et les services publics, nous assistons à un retour du fait religieux incompatible avec les principes républicains.
Il s’agit pour nous de questions de société majeures. Nous ne pouvons pas sans cesse rester sur des positions défensives. Il nous faut réagir et combattre les extrémismes porteurs de communautarisme. Il faut réaffirmer strictement la neutralité des services publics.
La laïcité doit être une pratique vivante. C’est pourquoi nous sommes favorables à l’instauration d’une journée nationale de la laïcité, le 9 décembre.
Devant la montée en puissance de tous les intégrismes religieux, apportant régression et soumission des femmes, entravant leurs droits, la Grande Loge Féminine de France continuera à dire tous les manquements au principe de laïcité et à combattre toutes les dérives qui bafouent et en dénaturent sa pratique.
La laïcité est la clef de voûte de l’édifice républicain. C’est le garant institutionnel des libertés, c’est la condition nécessaire à l’intégration des citoyennes et des citoyens de toutes origines.
Elle permet à la République française d’affirmer ses principes et de s’épanouir dans un monde fondé, non pas sur la transcendance ou la révélation, mais sur la Raison.
Permettez‐moi de citer Geneviève Koubi, professeur de droit public : « …Le droit est laïque, le principe détient une valeur constitutionnelle qui implique que non seulement les processus de fabrication du droit doivent répondre à des préoccupations laïques …, mais encore que les circuits de mises en oeuvre des règles de droit doivent respecter cette dimension …. ».
La Grande Loge Féminine de France engage avec fermeté nos élus à s’attacher à mettre en oeuvre cette définition du droit français et à veiller à sa stricte application.