04.10.15
Extrait des "Dernières Nouvelles d'Alsace"

Dans le secret d'une loge

Avec son mobilier Empire, qui a été soigneusement préservé, le temple maçonnique de Mulhouse est l'un des plus beaux de France. Ce lieu secret a ouvert ses portes le temps d'une visite de Alain Graesel, ancien Grand Maître de la Grande Loge De France (GLDF), venu parler « humanisme et trans humanisme. » Les locaux du temple maçonnique de la GLDF à Paris ouvrent leurs portes chaque année pendant les journées du patrimoine. Mais les autres temples restent discrets. Rarement de signe distinctif sur la façade, pas d'identité sur la sonnette. « 15 à 20 % de l'ensemble des temples seulement sont identifiables de l'extérieur. Et cette volonté de discrétion est bien compréhensible. Nous avons connu des temples dont les façades ont été vandalisées par des groupes d'extrême droite », explique Alain Graesel. À Mulhouse, même discrétion. Les 450 maçons, utilisateurs du temple tiennent à travailler dans l'anonymat. Et Alain Graesel sourit : « Mais contrairement aux informations qui circulent parfois dans certains magazines, ils ne complotent pas dans des endroits sombres. Notre fonctionnement est beaucoup plus simple que certains ne l'imaginent ».

LA FRANC-MAÇONNERIE INTERDITE EN 1940 PAR LE RÉGIME DE VICHY

Depuis les parvis, l'ancien Grand Maître, président de la Confédération internationale des grandes loges fait la visite et raconte justement comment cette franc-maçonnerie qui défilait encore librement dans les rues dans les années 1920 1930, qui œuvrait ouvertement au titre des œuvres de charité, a été interdite par une loi scélérate prise par le régime de Vichy le 13 août 1940. Pendant la Seconde Guerre mondiale, certains temples seront même occupés par les Allemands, dont le siège du Grand Orient et le siège de la Grande Loge De France. À Mulhouse, l'anecdote veut que le splendide mobilier Empire ait échappé aux convoitises de l'occupant car les maçons de l'époque ont pris l'initiative de le cacher dans les coulisses du Théâtre municipal. Il a fait office de décor de théâtre avant de revenir intact. Aujourd'hui, la franc-maçonnerie a un ministère de tutelle, celui de l'Intérieur. « Nous avons l'obligation de présenter un rapport d'activité, nous pouvons avoir des contrôles comme n'importe quelle association et aussi un contrôle fiscal », poursuit Alain Graesel. Malgré tout, le mystère qui entoure les francs-maçons reste épais. Entrer dans la franc-maçonnerie fait l'objet d'entretiens et d’enquêtes qui laissent plus d'un profane sur le pas de la porte Tenue, rituel et agapes Peu d'élus donc appelés à partager les travaux et à pratiquer le symbolisme qui reste très vivant « Quand nous nous réunissons dans le Temple, cela s'appelle une tenue pendant laquelle nous mettons en œuvre un rituel. Ces deux heures de travail sont suivies par des agapes », détaille Alain Graesel. Dans le temple, les outils que le franc-maçon va utiliser dans son travail sont mis en évidence : compas, équerre, fil à plomb. Les épées aussi qui servent de décor. Ces épées viennent de la maçonnerie militaire très active au XVIIIe siècle. À l'époque, dans ce lieu étrange de la loge maçonnique, où le militaire côtoyait l'ecclésiastique et où le noble côtoyait le bourgeois, tous portaient cette épée, signe d'égalité. « On assistait à une rupture du code, car l'épée n'était jusque-là portée que par les militaires et les nobles ». La voûte du Temple est étoilée, incitant à la réflexion philosophique. Le triangle lumineux fait référence au grand architecte de l'univers. Les travaux des francs-maçons se déroulent dans ce cadre et rassemblent croyants, non croyants, agnostiques ou adeptes de n'importe quelle religion. Selon les ordres et les ateliers, ces travaux sont plus orientés vers les questions de société ou les questions philosophiques. L'une de ces questions concerne l'humanisme et le transhumanisme. Un thème sur lequel Alain Graesel travaille depuis des années : « Car cette question touche l'humain et la franc-maçonnerie touche l'humain. On en parle depuis 15 ans, il faut maintenant que chacun prenne fait et cause ».

HUMANISME ET TRANSHUMANISME
« Le danger est réel »

Enfant parfait, augmentation des capacités physiques intellectuelles, cognitives, reproductives la science fait d’exceptionnels progrès. L’humain ne peut plus seulement être réparé mais peut être aussi augmenté et amélioré. Un progrès qui ouvre des perspectives vertigineuses, dont se sont emparé transhumanistes ou technoprogréssistes. Les tenants de cette idéologie sont devenus de plus en plus agressifs explique Alain Graesel. Alors faut-il refuser ce progrès ?« Non, répond-il, car le développement de la science se fera spontané ment avec ou sans nous. Mais il faut se poser des questions. En effet ce transhumanisme préfigure le téléchargement d’une conscience, la fusion entre l’homme et la machine. « C’est la bombe atomique mais en pire. Souvenons-nous que l’atome lui non plus n’était pas fait pour détruire, à l’ origine ». La France résiste culturellement aux sirènes du transhumanisme. Mais celui-ci fait l'objet d’un lobbying terrible. « Le danger est déjà réel alerte Alain Graesel, car on en est déjà à la mise au point d’une molécule qui peut rendre euphorique ou dépressif. On entre dans la conception et la fabrication du vivant. Entrer dans le psychisme est un vrai problème. Nous sommes en rupture avec l’évolution humaine ». Faut-il poser des lois et des interdits ? Comme le clonage à des fins reproductives qui est interdit en Europe ? Àtravers les conférences, Alain Graesel éclaire les citoyens sur le sujet dans l' idée « qu'on ne perde pas totalement le contrôle ».